Marguerite Papazoglou,

Un Fauteuil pour l’Orchestre

Marguerite Papazoglou,

Un Fauteuil pour l’Orchestre

« Le spectacle rend hommage au film de Wim Wenders auquel il reste très fidèle, ce qui est, il faut le dire, une gageure, car on se retrouve souvent à voir sauter quelque part dans notre tête la scène du film (même vu il y a des années), en doublage de ce que l’on voit sur le plateau ! On retrouve … une certaine temporalité et musicalité, quelque chose de cette douceur présente dans le film : dans les pensées entendues, prises en charge par les anges ou par la musique, avec un magnifique parlé-chanté comme pour les pensées d’Homère, dernier conteur d’une époque qui s’en va. Une atmosphère de clair-obscur et méditative mise en valeur par des ruptures aussi franches que soudaines avec les interventions bruyantes, à l’adresse violente, du personnage de Peter Falk, transformé ici en un clown génial mix de poncifs absolus — celui du musicien inspiré, celui de la célébrité complètement déconnectée de la réalité et celui de l’américain en voyage en Europe — incarné par Stéphane Léchit, qui est le compositeur et musicien de la pièce par ailleurs…

Ce détournement irrésistiblement comique des répliques de Peter Falk est une des transpositions les plus remarquables de cette mise en scène. L’essence sympathique du personnage est toujours là, de même que son irruption anecdotique, son charme et son action capitale, mais d’une toute autre façon, ce qui permet aussi d’équilibrer le rythme de la pièce.

Autres écarts bienvenus et réussis : le scénario … le personnage de la trapéziste brillamment recréé par Camille Voitelier, avec un cirque décadent qui prend vie, où l’on embrasse passionnément les nuances de la solitude et l’amour profond de la vie. Amour de la vie dans les plaisirs simples et dans une liberté, elle aussi, simple car radicale ; solitude de qui n’arrive ni au calme intérieur ni à la rencontre. Sans jamais abandonner la quête, elle vole sans ailes, même dans la chute et le trivial, elle recherche le chuchotement du vrai, la suspension du temps. C’est pour cela qu’elle est trapéziste (et non pas juste pour être séduisante… merci Marie Ballet). Si le duo de cirque avec Stéphane Léchit-clown Chico se veut tout en dérision, celui qui a lieu après les feux de la rampe, dans le cocon privé de la nuit, avec ce même partenaire cette fois dans son rôle de musicien est un moment de pure magie : le son flotte dans les airs, pile à la limite entre l’existence et la disparition, pour venir caresser l’acrobate, la nimber de cette aura poétique qui aiguise notre perception et suspend le temps. Un enchaînement tout en délicatesse dans un espace qui semble la soutenir… »

(29 janvier 2019)