L’oeuvre de Daniil Harms décrit, dans des formes diverses, en vers et en prose, en saynètes, en journal, en lettres et en faits divers, la Russie du début du XXème siècle. Mais au-delà d’une critique de la Russie totalitaire, Daniil Harms décrit une difficulté de vivre qui concerne tous les êtres humains, où qu’ils vivent et d’où qu’ils viennent.
Cette difficulté est pour lui l’occasion d’inventer un monde peuplé de milliers de personnages, un monde où s’exprime son désespoir, ses rêves, ses déceptions, un monde tantôt drôle, tantôt pathétique. Battu, repoussé, trompé, insomniaque, empêtré dans les objets et impuissant face à une réalité qui ne cherche qu’à le détruire, l’homme est désespérément coupé du monde et seul.
L’écriture de Daniil Harms raconte la lutte quotidienne pour tenter d’exister dans l’art et dans la littérature et sa force réside dans l’aveu que la seule voie possible, c’est précisément d’en raconter l’impossibilité.
Dans le contexte de la Russie tsariste, « l’empêchement » c’est la censure exercée sur les auteurs qui ne suivent pas la ligne du parti. Le génie de Daniil Harms réside dans la tentative de poser comme principe de son écriture le fait qu’elle peut être à tout moment interrompue. Tout, dans ses écrits, est menacé de disparition. En racontant l’oppression qu’il subit dans des termes qui dépassent la seule réalité historique pour atteindre une dimension presque métaphysique, ce qu’il vit comme créateur au sein d’une société totalitaire peut toucher n’importe quel individu.
Oui, aujourd’hui j’ai rêvé d’un chien est un spectacle sur la tentative. Les histoires commencent, pleines d’espoir : un personnage prend forme, il a un nom, un visage, parfois une fonction, un récit va enfin avoir lieu, mais celui-ci est toujours avorté, interrompu.
Ces histoires courtes, comme des vignettes, ces bribes de vie, racontent la difficulté de poser un acte de création. Et cette difficulté, poussée à l’extrême, va jusqu’à faire de l’empêchement un principe de création.